Juin 2023

Editorial : Les défis du plan français de réindustrialisation verte

L'heure a sonné d'une nouvelle révolution industrielle avec le développement de « l’industrie verte » ou décarbonée. En France, c’est l’ambition de la loi industrie verte. Elle s'inscrit au sein d'un ensemble beaucoup plus vaste destiné à permettre la transition écologique du pays. La nouvelle loi va s'inscrire dans le cadre du grand plan de relance France 2030, elle s'appuiera sur le Secrétariat Général à la planification Ecologique (lequel a pour mission d'assurer la cohérence et le suivi des politiques à visée écologique, d'initier et de cadrer la mobilisation des ministères et parties prenantes, de coordonner toutes les négociations et enfin de mesurer la performance des actions menées). La Loi industrie verte s'inscrit aussi dans un ensemble de réglementations sur le logement, l'électrification du parc automobile, le développement rapide de l'éolien off-shore (sans parler du nucléaire dont les effets seraient plus lointains), ou encore la relance des méthaniseurs (un des rares secteur où les objectifs ont été dépassés, mais où les nouveaux projets sont presque à l'arrêt faute de rentabilité). Sans aller jusqu'à détailler les mesures, nous entrons dans le détail des ambitions et des difficultés ci-après.

Cela fait des décennies que la France se désindustrialise, le mouvement avait même été voulu par certains, les chantres d’une économie « sans usine ». Depuis, plusieurs tentatives d’inversion de la tendance ont vu le jour, sans aboutir au résultat souhaité. Pourquoi est-ce que cela serait différent cette fois-ci ? Tout d’abord parce que le contexte est différent : après la crise Covid et la guerre en Ukraine, la nécessité de produire en France et en Europe est largement partagée ; avec les enjeux climatiques et le plan européen, les volontés de se redévelopper localement sont nombreuses ; la compétitivité française s’est également améliorée ces dernières années. Et, pour le dire crûment, c’est maintenant que cela se passe, cela sera trop tard après ! Pour autant, ce plan français doit relever de nombreux défis. La France va-t-elle réussir à revenir un grand pays industriel, à l’instar de l’Allemagne ou de l’Italie ?

Rappel des objectifs poursuivis par le gouvernement

L’objectif officiel est simple, faire de la France la 1ère nation de l’industrie verte en Europe. Comment ? En décarbonant les sites existants, en produisant plus chez nous et réduisant nos importations en provenance de pays respectant moins l’environnement. L’objectif est donc double, à la fois économique et écologique.

Ce plan s’appuie sur deux piliers principaux :

  • La production en France de technologies clés permettant de faciliter la transition de l’ensemble de l’économie, en particulier l’hydrogène, les batteries électriques, les panneaux solaires. Rappelons aussi les efforts de redéploiement de l’industrie nucléaire qui ont fait l’objet d’une loi à part mais qui concourent aux mêmes objectifs.
  • La décarbonation des sites industriels émettant le plus de CO2 (aluminium, métallurgie, cimenterie).

Il adresse l’ensemble des domaines liés à l’industrie : la fiscalité, la réglementation, la formation, la commande publique et le « made in France ».

Ce plan s’inscrit dans une stratégie plus large, celle de la souveraineté industrielle française et européenne dans un contexte de concurrence vive avec les Etats-Unis qui cherchent à protéger leur industrie à la faveur de l’Inflation Reduction Act.

Ce plan engage une multitude d’acteurs, publics à différents échelons et privés, entreprises et individus. Il ne pourra pas seulement reposer sur les forces du marché, et devra être pilotée au global par les pouvoirs publics.

La loi industrie verte en détail

La loi industrie verte comporte 15 mesures détaillées en 29 propositions dont le slogan est : Faciliter, Financer, Favoriser, et Former. Les objectifs pour l'industrie sont chiffrés à 23 mds d'euros d'investissements d'ici 2030, ouvrant 40 000 emplois nouveaux (et peut-être autant d'emplois indirects). L'objectif de réduction des GES d'ici à 2030 est chiffrée à 41,5Mt CO2e (10% de l'empreinte carbone nationale), qui se répartirait ainsi : crédit d'impôt 34,6Mt, bonus auto 3,2Mt, financement de l'industrie verte 2,1Mt et réhabilitation des friches industrielles 1,6Mt. Rappelons que si l'industrie concourt pour une part importante aux émissions de GES nationales (18%), l'industrie hors construction ne représente que 12,5% du PIB français en 2022 (dont 9,3% pour les secteurs manufacturiers) et 12,0% de l'emploi salarié.

La loi industrie verte prévoit des subventions, conditionnées à l'empreinte carbone des projets, mais sans chiffrer d'enveloppe. En pratique l'aide publique devrait passer en priorité par des prêts et des garanties de la BPI, avec une enveloppe prévue de 2,3mds d'euros. S'y ajouteront des crédits d'impôts de 20% à 45% des investissements dans 4 secteurs (batteries, éolien, solaire photovoltaïque et pompes à chaleur) pour un coût estimé à 500 mns par an. Seraient concernés aussi certains investissements incorporels (brevets et licences). Les autres secteurs sont également appelés à verdir leurs activités. Il est également prévu de favoriser le recyclage des déchets industriels mais avec des modalités à préciser : obligations ou subventionnement…

L'accélération des délais pour l'ouverture et l'agrandissement des usines qui devraient passer de 17 mois à 9 mois, par simplification de certaines règles pour les projets d'intérêt national majeur (en particulier pour les gigafactories) et surtout par avancement des différentes autorisations (environnementales et urbaines notamment) à faire en parallèle au lieu de les faire en séquentiel. Tout cela ne sera pas sans risques juridiques. A ce titre il est prévu de limiter à un seul degré de juridiction des possibilités de recours… si cette mesure passe la barre du conseil d'Etat.

Un budget de 1md d'euros est envisagé pour le foncier avec la mise à disposition de 50 sites dépollués (pour un coût et sur un horizon à déterminer) pour une surface totale de 2000ha. Cependant chaque gigafactory exige une parcelle vaste et non des espaces séparés, c'est une nécessité pour la rentabilité mais aussi pour réduire l'empreinte écologique : limiter les transports ou récupérer la chaleur fatale. Il faudra aussi regarder comment ce plan peut s'articuler avec les règlementations écologiques existantes, comme sur la protection de la biodiversité et des biotopes. C'est aussi un défi en regard de l'objectif de zéro artificialisation des sols, même si en principe les industries ne sont pas encore concernées.

Les commandes publiques devraient favoriser les produits vertueux sur le plan environnemental, sur le papier c'est bien plus facile à mettre en œuvre dans les appels d'offre qu'une éventuelle préférence nationale ou même européenne (auxquels les partenaires étrangers peuvent s'opposer), en revanche ce sera difficile à contrôler pour les fournisseurs étrangers.

La loi inclura aussi un volet formation pour le personnel des futurs établissements (40 000 emplois): créations d'écoles idoines pour les jeunes ouvriers, augmentation des places dans le supérieur, amélioration de l'attractivité des métiers et féminisation. Au-delà de l'industrie, l'enjeu sera majeur sur la formation et la reconversion professionnelle des adultes, puisque l'emploi se transforme dans l'industrie (ne particulier l'automobile) mais aussi dans les métiers liés au bâtiment (isolation, pompes à chaleur) et dans les services (avec l'IA).

Financer le projet

Le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz couvre l'ensemble de la transition au sens large puisqu'il va falloir financer les investissements de tous les acteurs économiques. Il estime le surcroit d'investissements nécessaire à 66 mds par an d'ici à 2030, dont 34 mds à la charge des finances publiques. Mais Bruno Le Maire lui a en partie coupé l'herbe sous le pied en annonçant qu'il excluait tout nouvel impôt ainsi que le creusement du déficit.

Le financement du plan pour l'industrie verte doit se faire par l'épargne nationale avec un objectif d'au moins 5mds. Cela comprend la réorientation d'une partie des fonds de l'assurance-vie et l'épargne-retraite pour 4 mds (via une unité de compte dédiée), plus 1md supplémentaire avec un nouveau livret jeune dit "avenir-climat" (pour les 0-17 ans, plafonné à 22 950€, totalement détaxé, mais son succès n'est pas acquis car les fonds seraient bloqués jusqu'à l'âge de 18 ans, le capital serait non-garanti et le rendement connu ex-post même si l'objectif est qu'il dépasse celui du livret A).

Le financement du crédit d'impôt est prévu en partie par le déplafonnement du malus écologique sur les automobiles (aujourd'hui 50%) dont les critères sont appelés à être durcis. Cela pose quand même la question de la délocalisation des achats vers les pays voisins avec retour en France via le marché de l'occasion (même si une immatriculation étrangère ne dispense pas théoriquement des vignettes Crit'Air pour les ZFE). La suppression des exemptions fiscales sur les carburants est également citée, mais les exemples récents sont peu encourageants (par exemple le report de la taxation du diesel pour les engins de chantier, d'abord à 2023 puis théoriquement à 2024). Plus généralement les recettes fiscales reposant sur les carburants sont appelées à se réduire avec la baisse de la consommation des véhicules thermiques et surtout l'électrification du parc, or les recettes de la TICPE ont atteint 20,15mds en 2022, soit 6,23% des recettes fiscales, déjà en baisse de 0,4% par rapport à 2021 (où elles atteignaient 6,84% du total). Le rapport Pisani-Ferry estime même l'ensemble des taxes sur les énergies fossiles à 35mds en 2021, une manne appelée à disparaître. Même en supposant que la baisse des recette fiscales sur l'énergie soit compensée, il estime que la transition induira une hausse de l'endettement public de 10 points de PIB à l'horizon 2030 et 25 points en 2040.

Faire face à la concurrence étrangère

Depuis plus d'un quart de siècle la désindustrialisation de la France s'accompagne d'une ouverture du déficit de la balance commerciale, elle était excédentaire de 23 mds d'euros en 1997 et déficitaire de 164mds en 2022 (dont 108mds pour les hydrocarbures), le plus gros déficit de la zone euro. Alors que la plupart des autres pays européens avaient un excédent courant avant la pandémie qu'ils sont d'ailleurs en train de restaurer. Le verdissement de l'industrie française est donc une nécessité pour limiter l'endettement extérieur et préserver le niveau de vie national. C'est une opportunité parce que la relocalisation de l'activité sera l'occasion de réduire les émissions de GES liées aux importations (souvent ignorées dans le bilan climat national) grâce à la modernisation des process et parce que l'électricité française est, le plus souvent, moins carbonée que celle des pays étrangers. Mais c'est aussi un défi parce que la relocalisation ne pourra avoir lieu que si l'industrie est compétitive en France, surtout dans le contexte créé par l'IRA américain.

Le gouvernement veut aider les ménages à utiliser les voitures électriques. Actuellement une subvention à l'achat est ouverte à tous les VE jusqu'à un prix de 47 000 €, ce qui rend éligibles la plupart des véhicules chinois (actuellement 40% des bonus bénéficient à l'Asie) ainsi que les Teslas d'entrée de gamme. Le gouvernement entend limiter ces aides aux VE dont la construction (voiture et batterie) se fait à partir d'énergie largement décarbonée. Pour obtenir ce résultat il faudra que les constructeurs nationaux mais aussi étrangers fournissent une attestation crédible d'utilisation d'énergie décarbonée dans le processus de construction, dont le contrôle hors des frontières nationales ou européennes ne sera pas facile. Il sera en effet tentant pour les constructeurs étrangers d'affirmer qu'ils affectent la fraction de l'énergie décarbonée qu'ils consomment à la production des seuls produits exportés vers la France ou l'UE. La problématique sera la même demain lorsque le gouvernement aura mis sur pied le leasing à 100€/mois afin de donner un accès aux VE aux ménages modestes.

De surcroit ce règlement ou cette loi devra d'abord être conforme avec les règles du marché unique européen ainsi qu'avec celles de l'OMC. Ensuite il faudra que ces règles soient acceptées par les partenaires hors d'Europe sans provoquer de réaction hostile ou de mesures de rétorsion, comme on l'avait vu lors de la tentative avortée d'imposer le paiement de quotas carbone au transport aérien, il y a une dizaine d'années.

Energies

• Energies propres : selon l’Agence Internationale de l’Energie, sur les 2 800 milliards de dollars qui seront investis dans l'énergie à l'échelle mondiale en 2023, 1 700 milliards de dollars devraient financer des technologies énergétiques propres

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18%

18%, c’est le poids de l’industrie dans les émissions de Gaz à Effets de Serre française. C’est moitié plus que le poids de l’industrie dans le PIB, qui s’élève à 12,5% ou du poids de l’industrie dans l’emploi salarié qui est inférieur à 12%.

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Fideas Capital est en phase de levée de fonds de sa SICAV Fideas ActForClimate.

Cette SICAV, en partenariat avec l’ADEME, est la première à choisir le statut d'entreprise à mission. Fruit d'un travail poussé de structuration, elle consiste à prendre des participations stables au capital d’ETI françaises cotées dans le cadre de la construction d’un portefeuille concentré, et à les accompagner dans leur transition énergétique en nous appuyant sur la méthodologie conçue par l’ADEME, « ACT pas à pas ».

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Les 50 sites industriels les plus émetteurs de CO2 en France

Depuis plusieurs mois, l’Etat organise la décarbonation des 50 sites industriels les plus émetteurs de CO2 en France. De quoi s’agit-il ? De raffineries, cimenteries, aciéries, etc. Pourquoi ? Parce qu’ils représentent à eux-seuls environ 60% des émissions de CO2 éq de l’industrie en France, soit environ 40 millions de tonnes d’éq CO2. C’est équivalent aux émissions de la moitié des logements français.

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L'ADEME

L’agence de la transition écologique, communément appelée l’ADEME (acronyme pour Agence pour la Défense de l’Environnement et la Maîtrise de l’Energie) est un établissement public français créé en 1991. L’agence résulte de la fusion de plusieurs organismes publics et est sous la tutelle de deux ministères : celui de la transition écologique et celui de l’enseignement supérieur.

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