
Mars 2025

La nécessaire transition des montagnes françaises
La tendance actuelle, politique et médiatique, mais aussi chez certains acteurs économiques et financiers, est un certain espoir pour baisser le niveau d’exigence autour de la transition, voire de ne plus en tenir compte.
Oui, des allègements autour de la CSRD seront plus que les bienvenus. Mais la transition des entreprises et des territoires reste plus que jamais à l’ordre du jour. Les conséquences du réchauffement et l’aggravation des problèmes environnementaux ne vont pas disparaître si on n’en parle pas. En Turquie, R. Erdoghan en son temps avait eu l’idée de ne plus publier les chiffres d’inflation pour la faire disparaître, avec le succès que l’on sait. La nécessité d’une transition bien construite n’est pas morte avec l’arrivée de D. Trump !
Il n’y a qu’à regarder la montagne française, dont la prospérité économique repose avant tout sur les sports d’hiver. Avec ses 250 stations de ski alpin, la France accueille chaque année 10 millions de touristes, dont 25 % d’étrangers. La taille du marché des stations de ski françaises est estimée à 10 milliards d’euros. Plus de 120 000 emplois en France dépendent de l’ouverture des stations de ski. Et le ski représente 82% du chiffres d’affaires touristique de la montagne.
Ce modèle très rentable, au moins pour une partie des stations, est-il durable ?
En montagne, force est de constater que les risques physiques liés au réchauffement climatique sont bien présents :
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En termes de bilan carbone tout d’abord : 52% de l’empreinte carbone des activités liées au ski résident dans les transports des touristes pour arriver aux stations de ski, ce qui est comparable à l’ensemble des activités touristiques. De ce point de vue, les stations internationales expliquent la plus grande partie des émissions. Il y a ensuite le logement, évidemment plus émetteur pour des raisons de chauffage accru. Mais de ce seul point de vue, aucune raison de s’intéresser davantage au ski qu’à d’autres activités touristiques.
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Il y a ensuite la baisse de l’enneigement : -20 à 25% de neige en-dessous de 1500 mètres depuis 1980, condamnant les stations de basse altitude à changer drastiquement de business model ; moins de mois enneigés et une variabilité des températures susceptible d’abîmer le manteau neigeux, conduisant les grandes stations à investir toujours plus pour conserver la rente de l’or blanc. Par exemple, à Tignes, la neige artificielle dite “de culture” (à partir d’air et d’eau) est développée depuis 1987. Depuis, la station est passée de 3 à 437 enneigeurs aujourd’hui. 70% de la neige de culture est produite du 1er novembre au 20 décembre, pour pouvoir assurer l’ouverture de la saison en formant une 1ère sous-couche de 40 à 60 cm de neige de culture. Cette neige est ensuite utilisée comme neige d’appoint au cours de la saison.
Cette pratique en très fort développement suppose l’utilisation de grandes quantités d’eau et des températures négatives. L’eau peut être prélevée à proximité et l’essentiel revient dans les cours d’eau et les lacs à la fonte des neiges. Toutefois, au global, la quantité d’eau disponible pour la croissance des plantes en montagne a diminué de 15% en 30 ans. Et le fait de ponctionner de grandes quantités d’eau pendant l’hiver peut déséquilibrer les écosystèmes prélevés. Il convient donc de monitorer les ressources en eau avec soin. Certaines stations se sont engagées à limiter la quantité de neige de culture utilisée. En tout cas, la bonne gestion de la ressource en eau demande une concertation avec l’ensemble des parties prenantes et une vision à terme du business model. Que fera-t-on s’il n’y a plus d’eau à Noël, interroge le Shift Project ? Et déjà, lors des années récentes, les hivers ont connu des périodes de températures élevées pendant des périodes prolongées y compris dans des grandes stations. L’hypothèse de quelques hivers à très faible enneigement et capacité de neige artificielle est tout à fait possible.
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Il y a ensuite la question des éboulements et glissements de terrain avec à chaque fois des conséquences coûteuses économiquement et parfois en vies humaines. Le mécanisme est bien connu : le réchauffement du permafrost (ou pergélisol) déstabilise les montagnes. Les précipitations abondantes s’insinuent dans les fissures, des roches se détachent. Ces phénomènes devraient se multiplier dans les années à venir.
Quelques exemples récents, pour les amateurs d’alpinisme et de randonnée :
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Effondrement des Cosmiques en 2018, où se déroule une course d’alpinisme très renommée en face du Mont Blanc.
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Eboulement sur la Meije en 2018, montagne de 3984 mètres.
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Fermeture définitive du refuge de la Pilatte, fissuré et dangereux, après un siècle de fonctionnement.
Quelques autres exemples aux incidences économiques élevées :
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Mer de Glace : perte de dizaines de mètres d’épaisseur chaque année pour le plus grand glacier de France. Construction d’une nouvelle télécabine pour y accéder, coût de 50M€.
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2023 : gigantesque éboulement en Savoie qui a coupé la circulation des trains entre la France et l’Italie. Le rétablissement n’est prévu... qu’en mars 2025 !
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2025 : route des stations de ski de la Tarentaise coupée après un éboulement, a failli peser sur la saison des grandes stations françaises.
Dans ce contexte, des réflexions majeures ont lieu concernant la transition des montagnes en France et en Europe, avec des choix très différents. Un clin d’œil à eureka 21 qui œuvre sur le sujet depuis des années (cf étude sur la cohésion des territoires en source) !
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Il y a comme nous l’avons vu les investissements techniques pour s’adapter à moins de neige : neige de culture, précoce et locale. Cela fonctionne si les températures restent relativement basses et si la ressource en eau reste sous contrôle.
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Il y a ensuite les stations qui commencent à s’adapter à un nouvel environnement tout en maintenant l’activité ski comme prépondérante, avec des projets co-construits avec toutes les parties prenantes. Elles apparaissent notamment sous le label “flocon vert” : limite sur la neige artificielle, mobilités douces, etc. Les Arcs se sont par exemple engagés dans cette voie.
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Il y a enfin des réflexions sur un changement radical de business model, avec l’espoir que des activités pérennes sur l’ensemble de l’année pourront en partie compenser le pic hivernal et préserver l’environnement des montagnes. Cela demande une vision de long terme et une participation de toutes les parties prenantes.
Comme pour des entreprises, chaque ensemble montagneux, chaque région, chaque station, doit construire sa vision de court, moyen et long terme pour évoluer au mieux dans un environnement dont les tendances sont clairement négatives pour le business model actuel. Oui certaines stations profitent de la fermeture des autres, à court terme. Mais que se passera-t-il dans 5,10, 30 ans, des périodes d’amortissement pour les lourds investissements parfois engagés aujourd’hui (infrastructures, remontées mécaniques, etc.). Ces investissements seront-ils vraiment productifs sur l’ensemble de la durée prévue ? Ou finiront-ils par être des actifs échoués ?
Une fois la vision établie, se pose la question du financement de la transition ? A ce stade, ce sont surtout des questions qui se posent :
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Comment réorienter les investissements actuels (infrastructures, immobilier) sur des investissements pérennes ?
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Quelle doit être la bonne politique de subventions publiques ? Permettre de conserver à tout prix le ski tant qu’il existe (cette activité est ultra-rentable mais court le risque d’être un actif échoué) ou les investissements d’avenir et de reconversion des montagnes ?
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Doit-on instaurer une solidarité entre les stations qui profitent le plus de la manne climatique et de la fermeture des autres, et celles qui essaient de se réorienter ?
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Quelle économie locale redéployer, notamment quelle agriculture, quels services, comment réinstaller une population locale active qui vive sur ces territoires l’ensemble de l’année ? Comment prendre en compte les enjeux de biodiversité ?
Tous ces problèmes bien concrets se posent, et ils se posent dès aujourd’hui. Ces adaptations sont nécessaires en tant que telles, et elles seront d’autant plus créatrices de valeur pour le plus grand nombre sur le long terme qu’elles seront prises à bras le corps dès maintenant par toutes les parties en présence. La réglementation ou la non-réglementation n’y changera rien !
Ces problèmes se passent aujourd’hui dans nos montagnes, ils sont parfaitement visibles, tangibles. Les prend-on en compte ? Pas sûr quand on voit les prix de l’immobilier qui continuent à s’envoler dans les grandes stations. Et ce qui se passe dans les montagnes, se passe aussi au sein de nombre de secteurs économiques, même si c’est moins visible.
On en revient au film Don’t Look up ! Non, Trump n’a pas mis fin par décret au réchauffement climatique. Et c’est à nous de nous y adapter.
Sources :
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