Février 2024

"Transitionner, oui, mais à quelle vitesse ?"

Les scientifiques sont formels sur la transition : aujourd’hui, le scénario 1,5 degrés est presque hors de portée, il faudrait pour cela réduire les émissions de CO2 de manière très rapide et très conséquente partout. Le monde est en retard et il faut accélérer. On ne compte plus les plaidoyers des ONG et activistes sur le sujet, qui déplorent la lenteur des décisions des décideurs politiques et économiques.

Et pourtant la COP 28 a rassemblé 70 000 participants, pour la première fois, sensation que ce ne sont plus seulement les grands acteurs de l’énergie qui sont concernés, mais bien l’ensemble des acteurs financiers, politiques et industriels, et ce notamment parce que la publication des données scope 3 arrive en 2026 via l’International Sustainability Standards Board (ISSB).

En Europe des décisions sont prises, des normes nombreuses et contraignantes sont entrées en vigueur notamment dans les secteurs industriels et agricoles, sans parler du secteur financier. Les contestations des agriculteurs en France et en Europe nous le montrent : selon eux, la transition, qu’ils ne contestent pas en tant que telle, est trop rapide et trop pesante, financièrement et administrativement.

  • Alors, la transition est-elle trop lente ou trop rapide ?

Cela dépend des points de vue. Commençons par celui des entreprises concernées.

Pour Isabelle Kocher de Leyritz, fondatrice de Blunomy, entreprise de conseil et d’aide à la décarbonation « positive » à destination des entreprises et des investisseurs, la transition écologique se fait dans un contexte extrêmement rapide, et concerne principalement le monde industriel, dont les cycles naturels sont longs (jusqu’à 40/50 ans dans l’énergie par exemple, ou jusqu’à 10/20 ans dans l’agro-alimentaire).

Dans un contexte de cycles très longs, on comprend bien la différence de perception sur la vitesse de la transition : 10 ans c’est long pour les uns, court pour les autres. Surtout que, selon Isabelle Kocher de Leyritz, il ne s’agit plus seulement de trouver des solutions de décarbonation, mais bien de transformer totalement les activités d’une entreprise : “pour les dirigeants, le challenge c’est d’importer ces changements majeurs qui se profilent dans le futur dans les décisions stratégiques d’aujourd’hui. C’est tout le but de l’activité de Blunomy”.

La transition a de spécifique qu’elle ne suit pas le schéma schumpétérien de destruction créatrice : le monde est capable de constater que les émissions de GES détruisent les équilibres planétaires, en revanche personne n’a de solution magique, et tout le monde est obligé de naviguer à vue, « sans carte ni boussole ». La transition est une opportunité pour les entrepreneurs, ce sont eux qui réussiront car ils sont parfaitement adaptés pour « naviguer à vue », les entreprises doivent adopter un esprit entrepreneurial.

Et c’est sans compter la biodiversité qui est sans doute l’enjeu le plus profond que tout le monde doit prendre en compte, mais qui est extrêmement difficile à aborder car il concerne les territoires et nécessite une action concrète sur le terrain.

  • Prenons le point de vue de la France en tant que pays, membre de l’Union Européenne.

Première approche : la vitesse de la transition doit tout d’abord être en ligne avec les engagements qui ont été pris pour accélérer la transition dans les secteurs clés : énergie, transports, industrie, bâtiments, agriculture, etc. L’empreinte carbone de la France s’améliore effectivement, et doit continuer à un rythme de plus en plus soutenu. Parmi les nombreuses initiatives prises, les subventions pour décarboner les 50 plus grands sites industriels du pays le plus rapidement possible. Un exemple : ArcelorMittal Dunkerque.

« Avec environ 12 millions de tonnes de CO2/an, soit 15% des émissions industrielles nationales, le site d’ArcelorMittal Dunkerque - premier site de production d'acier en France - recevra des investissements de l'État atteignant 1,8 milliard d'euros pour sa décarbonation. ArcelorMittal entreprendra ainsi la construction d'une installation novatrice de « réduction directe du minerai de fer » et de deux fours électriques.

À terme, le site produira 4 millions de tonnes d'acier vert par an (sur une production totale de 6,8 millions de tonnes par an), réduisant annuellement les émissions de CO2 de 4,4 millions de tonnes en moyenne sur les quinze premières années, soit 5,7% des émissions industrielles nationales totales. Sur la durée de vie du projet, le rejet d'environ 70 millions de tonnes de gaz à effet de serre sera évité.

La construction de ces installations à Dunkerque contribuera significativement à l'objectif d'ArcelorMittal de réduire ses émissions de CO2 en France de 35% d'ici à 2030. »

France 2030 : Soutien à la décarbonation d'ArcelorMittal Dunkerque | entreprises.gouv.fr

Être en ligne avec ses engagements permet à la France de prendre sa part à des efforts qui doivent être réalisés dans le monde entier et d’être crédible dans les négociations internationales.

Toutefois, même si la France atteint ses objectifs de décarbonation dans les années qui viennent, ce qui est évidemment plus que souhaitable, elle n’en aura aucun bénéfice climatique, le problème de la saturation de la capacité d’absorption du CO2 par l’atmosphère étant mondial. Et ce point est particulièrement difficile à expliquer pour les décideurs politiques aux populations, et à accepter par les acteurs économiques auxquels on demande des efforts rapides, comme les agriculteurs, en France et dans le reste de l’Europe.

Ce qui est également sûr, c’est que les conséquences du réchauffement et du dérèglement climatiques sont déjà visibles sur le territoire français : sècheresse dans le Sud, inondations dans le Nord, n’en finissent plus. Comme la transition n’aura pas d’effet rapide, la question de l’adaptation des territoires et des entreprises se pose avec acuité. Et donc la question des arbitrages budgétaires, des subventions, des efforts demandés à tous pour permettre une transformation générale (transition + adaptation) à un rythme suffisant et acceptée par le plus grand nombre.

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